N°27 : “Le discours de Latran” et Jean-Marie Bigard

Publié le par l'agora de Bretagne

La chronique de Nicolas KERDRAON

 

 

A l'occasion des élections présidentielles, et pour se détendre ou se faire peur c'est selon, l'Agora de Bretagne vous offre un petit voyage dans le temps. Revenons en 30 jours sur 30 évènements symboliques de la période Sarkozyste. L'Agora de Bretagne est heureuse de vous proposer, Sarko 2007-2012, le Best-of !  

 

En ce 31 mars 2012, N°27 : “Le discours de Latran” et Jean-Marie Bigard

 

Le 20 décembre 2007, suivant la tradition respectée par le Général de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing et plus discrètement par François Mitterrand, Nicolas Sarkozy était installé Chanoine d’Honneur de la basilique Saint-Jean de Latran (Rome). Cette tradition date de 1604 quand Henri IV décida de faire don au Latran de l’abbaye bénédictine de Clairac (Lot-et-Garonne). Pour le remercier, le chapitre du Latran décida de lui élever une statue dans la basilique et d’attribuer au roi le titre de chanoine d’honneur.

 

Reçu par le Pape Benoit XVI, Nicolas Sarkozy, arrivé avec un quart d’heure de retard, prononça à cette occasion un discours passé à la postérité où il piétinera allègrement l’un des fondements de la République Française : la laïcité. Il égratigna aussi au passage l’école républicaine. Au-delà du discours, un autre aspect de ce voyage a marqué les esprits : son caractère … grotesque. En effet, dans la délégation présidentielle, si on oublie la mère de Carla Bruni ou Max Gallo, était présent un certain Jean-Marie Bigard. Cette période était la grande période bling-bling de Nicolas Sarkozy qui aurait déclaré que la présence de Jean-Marie Bigard dans la délégation officielle marquait à sa manière « la rupture », en montrant que le peuple, représenté par Jean-Marie Bigard donc, (mais à quel titre ? Va savoir !) méritait aussi d’être présenté au Pape. Après avoir consulté un SMS dans la salle du Trône, Nicolas Sarkozy s’est fendu, après le déjeuner, de son désormais fameux discours.

 

Dans ce discours, après les formalités et remerciements d’usage, Nicolas Sarkozy aborde très rapidement « ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre Nation à l'Eglise », sous-entendu ici, « à l’Eglise catholique ». Nicolas Sarkozy commet là sa première erreur car il oublie que le terme Eglise ne renvoie pas automatiquement à l’Eglise catholique dans un pays laïc.

 

Il enchaîne avec une interprétation de l’Histoire de France qui a choqué de nombreux historiens : « C'est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l'Europe ». Les faits ne sont pas là, M. Le Président ! La France n’a été considérée « fille ainée de l’Eglise » qu’après la conquête, un siècle plus tard, par Pépin Le Bref de la Lombardie, dont il avait cédé une partie à l’Eglise, permettant ainsi la création d’un premier Etat pontifical (ce qu’il évoque quelques lignes plus loin dans son discours). Ensuite parce que Clovis n’a pas été le premier souverain chrétien car il y avait, en Byzance-Babylone, des empereurs chrétiens orthodoxes, bien avant Clovis. S’en suit un long développement sensé démontrer que « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes ».

 

Dans ce discours, Nicolas Sarkozy fait de la laïcité une agression contre l’église catholique et la met sur le même niveau que le baptême de Clovis. « Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. Je sais les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie, reconnaissons-le, cher Max Gallo, une reconstruction rétrospective du passé. C'est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage de leurs souffrances, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l'anticléricalisme ; et c'est leur intelligence commune qui a permis à la France et au Saint-Siège de dépasser leurs querelles et de rétablir leurs relations ». 

 

Même si l’héritage chrétien en France est immense, comme tout héritage il s’inscrit en noir et blanc et la laïcité, dans la France du 21ème siècle, est bien plus importante et influente que le baptême de Clovis. Dans ce paragraphe Nicolas Sarkozy traite de la souffrance qu’a représentée l’instauration de la laïcité pour les prêtres et l’Eglise catholique de France. Ce type de discours, qui ressemblerait presque à des excuses, n’a pas sa place dans la bouche d’un Président de la République Française. La France ne s’est pas excusée auprès des aristocrates d’avoir aboli les privilèges lors de la nuit du 4 Août ! Et il semble qu’aucun homme d’église n’a été décapité par la République en 1905 ! Il poursuit néanmoins par « La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu'autrefois. Dès lors la laïcité s'affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. ». On peut oser effectivement l’affirmer.

 

Nous ne étendrons pas sur des passages surprenant parlant notamment d’une « laïcité, enfin parvenue à maturité » (La laïcité, plus que centenaire, ne nous semblait pas avoir attendu Nicolas Sarkozy pour être mature) ou de la religion catholique, « notre religion majoritaire », alors qu’une république laïque ne reconnaissant pas le communautaire, ne saurait considérer une religion comme majoritaire ou minoritaire. Le caractère majoritaire du catholicisme en France est d’ailleurs, aujourd'hui, discutable. 

 

On sautera par dessus le passage où Nicolas Sarkozy met sur un pied d’égalité, communisme et nazisme, pour nous concentrer sur les entorses à la laïcité : « Bien sûr, ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d'intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c'est un homme qui espère. Et l'intérêt de la République, c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n'ont pas rendu les Français plus heureux. C'est une évidence. ». Ce n’est pourtant pas du tout évident ! Selon Nicolas Sarkozy, on a le droit d’être athée mais plus il y aura de croyants, mieux la France se portera. Et au passage de citer le supposé « désert spirituel des banlieues ». Pour conclure ce passage sur sa fameuse incantation « L'avènement d'une laïcité positive, c'est-à-dire d'une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. ». Comme si la laïcité était, par essence, négative. La République gagnerait-elle à plus de « religiosité » ? Là encore, dans une république comme la nôtre, la religion est affaire privée et la société dans son ensemble n'a rien à gagner, ni à perdre à plus de religiosité. Difficile de faire la morale à ceux qui veulent imposer la charia en Lybie après ce type de discours. Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs déjà développé ce type d’idées au cours d’entretiens avec Michel Onfray pour Philosophie Magasine. Il y déclarait : « Organiser la vie, c'est la fonction de la République. Donner du sens à la vie, c'est le rôle de la religion. Chaque fois que l'un d'entre nous accompagne un proche en sa dernière demeure, se pose la question de l'espérance : la vie s'ouvre-t-elle sur le néant ? Est-ce que la République peut répondre à une telle demande ? Je ne m'enferme pas dans l'intégrisme, mais je suis convaincu que ce que les religions ont fait de plus grand est supérieur à ce qu'elles ont fait de plus petit. ». Ce à quoi Michel Onfray répondait : « je ne suis pas d'accord avec cette idée selon laquelle la religion serait seule dispensatrice de spiritualité, sinon d'espérance. Vous laissez de côté la philosophie. Il y a de l'espérance, du sens, mais également, et en plus, de la raison et du raisonnable dans la recherche philosophique là où la religion construit sur le déraisonnable. »

 

Dans son discours de Latran, Nicolas Sarkozy enchaîne ensuite sur un amalgame des plus grotesques entre le fait de rentrer dans les ordres et le fait de satisfaire son ambition et sa soif de pouvoir en conquérant la Présidence de la République : « Sachez que nous avons au moins une chose en commun : c'est la vocation. On n'est pas prêtre à moitié, on l'est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu'on n'est pas non plus Président de la République à moitié. Je comprends que vous vous soyez sentis appelés par une force irrépressible qui venait de l'intérieur, parce que moi-même je ne me suis jamais assis pour me demander si j'allais faire ce que j'ai fait, je l'ai fait. Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j'ai faits pour réaliser la mienne. ». Nicolas Sarkozy, dans la grande tradition des mégalomane égocentrique, considère que sa modeste personne n’a fait qu’accomplir ce qu’il convient d’appeler « le Destin » et qu’il était voué à diriger la France… comme si Dieu l’avait voulu. Là encore, Nicolas Sarkozy confond un République démocratique et laïque avec une monarchie de droit divin dans un passage que Bokassa 1er, Empereur de Centrafrique n’aurait pas renié. Il se rêve, visiblement, en Clovis des temps modernes, chargé d'une mission messianique.

 

Enfin, une partie de son discours est allée droit au cœur des enseignants français : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Il semble donc que, dans l’esprit présidentiel, le sacrifice de sa vie à ses croyances soit nécessaire pour transmettre correctement des valeurs et apprendre la différence entre le bien et le mal. Les valeurs laïques seraient donc des valeurs « de lâches » qui n’osent « entrer dans l’espérance », comme l’indique l’extrait de Bernanos cité en fin de discours « L'optimisme est une fausse espérance à l'usage des lâches. L'espérance est une vertu, une détermination héroïque de l'âme». Les enseignants seraient-ils invités à inventer le « jihad républicain » pour prouver à Nicolas Sarkozy qu’ils sont dévoués à l’éducation de la jeunesse française.

 

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Ce discours semble être celui d’un représentant d’une République qui vient demander pardon pour avoir inventé la laïcité, à ceux qu’elle a ainsi dépossédé de leur pouvoir, de leur influence, de leurs primautés sur l’éducation, l’instruction et la transmission des valeurs dans notre pays. Nicolas Sarkozy rompt là avec la neutralité qui sied au dépositaire de la loi de 1905 et tient un discours qui ressemble à celui d’un mari volage qui cherche à reconquérir sa première amoureuse en faisant son mea culpa et en évoquant tous les bienfaits de la vie à deux. Ces valeurs respectables ne sont pas celles de la République  Française. Elle ne devrait donc pas être véhiculée par le représentant de cette République à travers le monde, à moins que celui-ci n’ait été mandaté par le peuple français, pour revenir sur la loi de 1905. Nicolas Sarkozy est allé à Canossa sans y être contraint, ni invité par le peuple français. Il n’a répondu ici qu’à une impulsion intérieure et personnelle, probablement trahie par une partie de son discours sur son supposé « destin présidentiel » et par la référence permanente à Clovis. On sait que les rois mérovingiens se considéraient plus comme des prêtres-rois qui avaient une fonction religieuse et spirituelle plus qu’administrative (d’où le qualificatif de « roi fainéants »). Nicolas Sarkozy s’est sans doute imaginé en roi ou en empereur, quand il était petit et avait peut être rêvé d’être sacré par Saint-Rémi devant l’autel de la cathédrale de Reims, plutôt que par Johnny Hallyday, devant le buffet du Fouquet’s.

 

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C
Ik voel me erg leuk na het lezen van deze blog vooral na het lezen van spraak. Zeker dit type van meningsuiting maakt het gevoel dat we uniek zijn en speciaal voor onze familieleden en voor onze<br /> vrienden.
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